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Double surprise, celle de voir à 92 ans l’américain Frederick Wiseman, grande figure du documentaire au long cours (le dernier en date City Hall durait près de cinq heures), retrouver le terrain de la fiction – vingt ans après La Dernière lettre avec Jeanne Moreau – sous la forme d’un moyen métrage. Il s’agit d’un monologue. Sophia Tolstoï (Nathalie Boutefeu), femme du grand Léon, s’adresse à voix haute au milieu d’une végétation bourgeonnante, à son défunt et illustre mari. Ce qu’elle a à lui dire retrace les méandres d’une vie à deux, faite de déséquilibres : âge, sexe, désir, inspiration, place dans la société… Wiseman sur les traces du cinéma de Straub et Huillet, croit à la force du texte, à sa possible incarnation à l’écran. Il cherche – et trouve – un parfait dépouillement. Ici, une vague s’écrasant sur un rocher a la même force qu’une récrimination à l’adresse d’un mort. (une critique de Thomas Baurez)
Article écrit par Paul Courbin
C’est avec étonnement que l’on découvre ce très court long-métrage de fiction (1h04), par l’une des figures les plus remarquables du cinéma du réel, Frederick Wiseman, dont les derniers films s’apparentaient plus à des fresques colossales de trois heures : Un couple constitue donc un contrepoint esthétique et narratif à ce dispositif canonique, puisqu’il s’attache à décrire une parole unique dans un lieu unique, comme une variation autour d’une subjectivité, celle de Sophia Tolstoï, épouse de Léon Tolstoï, écrivain de Guerre et Paix, figure monumentale de la littérature russe, et dont Frederick Wiseman et Nathalie Boutefeu nous livrent un portrait indirect, médié par la parole de son épouse, dont le texte est issu en totalité des journaux intimes de Sophia Tolstoï, écrivaine de l’ombre, ici mise en lumière par la douce caméra et le regard attentif propre au réalisateur américain.
Empruntant au soliloque de théâtre, ou plutôt au seul en scène, le film crée un maillage de paroles où Sophia Tolstoi explore, à l’automne de sa vie, sa relation longue et complexe avec le géant russe, et rejoue situations et disputes en incarnant successivement son propre personnage et celui de son mari. Partant d’une situation d’énonciation plutôt simple (une femme parle à son mari et retrace leur relation tumultueuse), la trame narrative est enrichie par une complexité de regards, de temporalités, de subjectivités, puisque Sophia y endosse son je actuel, son je passé et celui de son mari. A travers le portrait de leur mariage, Sophia réalise son autoportrait, elle qui a dû endosser le rôle d’épouse modèle pour son écrivain de mari pendant presque 40 ans et qui, pendant qu’il écrivait ses romans, s’est occupée de porter, élever, nourrir leurs enfants, d’accomplir les tâches domestiques invisibles et gratuites qu’une épouse est chargée d’effectuer en silence. https://www.iletaitunefoislecinema.com/un-couple/

Frederick Wiseman, né en 1930 à Boston, commence par des études de droit et deviendra professeur jusqu’en 1961. Il s’intéresse alors à l’univers du cinéma, d’abord en tant que producteur puis comme réalisateur en 1967 d’un premier documentaire sur une prison psychiatrique. Il met ainsi en place sa technique de réalisation : beaucoup d’heures de tournage avec une petite équipe, pas de voix-off, un travail de montage de plusieurs mois pour donner un sens, du rythme et un récit aux rushes.
Frederick Wiseman s’aventure depuis à réaliser comme un long portrait de l’Amérique dans laquelle il vit, s’intéressant aux institutions et à la vie quotidienne de ses habitants. Il a abordé des sujets aussi variés que l’éducation (High School et High School II en 1968 et 1994, At Berckeley en 2013 ou Ex Libris: the New York Public Library en 2017), la santé (Hospital en 1970, Welfare en 1975 et Near Death en 1989), la société de consommation dans Model (1980), la violence humaine dans l’armée (Basic Training en 1971 ou Missile en 1987) et dans la vie quotidienne avec Domestic Violence et Domestic Violence 2 (2001 et 2002) ou encore Boxing Gym (2010).
Chroniqueur prolixe de la vie américaine comme dans In Jackson Heights(2015), Monrovia, Indiana (2018) ou encore City Hall (2020), Frederick Wiseman a tourné à trois reprises en France. Après la Comédie-Française en 1996 et le Ballet de l’Opéra de Paris en 2009, le réalisateur a consacré un documentaire au Crazy Horse en 2011.
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