Afin de retracer une période mouvementée des Cahiers du cinéma (1963-1973), Jean Narboni et Jean-Louis Comolli (rédacteurs en chef entre 1965 et 1973) interrogent anciens collaborateurs et amis (Jacques Aumont, Pascal Bonitzer, Jacques Bontemps, Bernard Eisenschitz, Pascal Kané et Sylvie Pierre). Aux témoignages s’ajoutent des lectures d’articles et des images d’archives, rendant compte d’une époque où politique et théorie bouillonnaient.
Jacques Bontemps rappelle les itinéraires politiques des Cahiers : plutôt à droite avant 1963, la revue se politise suite à l’interdiction de La Religieuse de Rivette en 1966 et de la célèbre « affaire Langlois » peu avant mai 1968 ; cette implication dans un double combat, cinéphile et politique, précède une alliance avec le PC, puis un virage maoïste. Dès 1966, la revue promeut un cinéma novateur dont les formes se devaient d’être inséparables d’un progressisme politique. Elle s’ouvre ensuite aux pensées extérieures (Tel Quel, La Nouvelle Critique, Lacan, Barthes et Althusser), devient plus théorique (Jean-Pierre Oudart y invente le concept de « suture » qui fera florès), traque l’idéologie. Jacques Aumont regrette l’absence de suivi de ces théorisations, tandis que Sylvie Pierre y voit une forme de terreur et les prémices d’un éclatement de la revue. Tous les intervenants reconnaissent, malgré les tensions d’alors, la richesse et l’inventivité d’une cinéphilie radicale.
(Pierre Eugène)