De l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933 à la capitulation allemande en 1945, le professeur Victor Klemperer tient un journal secret dans lequel il raconte la vie quotidienne d’un juif allemand sous le IIIe Reich.
Le même journal lui sert aussi de carnet de notes pour une grande étude qu’il rêve d’écrire s’il parvient à survivre. Le sujet en est la langue nazie, cette nouvelle langue que tout le monde parle, Goebbels comme l’homme de la rue, les fonctionnaires de la Gestapo comme les juifs eux-mêmes, qui reprennent sans s’en rendre compte la langue de leurs bourreaux.
Résister à la tyrannie de cette langue empoisonnée devient pour Klemperer plus important que la survie elle-même.
L’avis de tënk
Les percussions d’une machine à écrire sont bientôt avalées par les tambours des jeunesses hitlériennes, avant que ne se fasse entendre cette langue nazie, non pas parlée mais éructée, vociférée, recrachée par d’agressifs hauts-parleurs.
« La Langue ne ment pas » est le récit du combat superbe, inégal et désespéré, mené par Victor Klemperer, consistant au maintien de la culture et de la raison face à la barbarie qui, férocement, ensevelit tout. On retient cette photo à la toute fin du film : Klemperer en homme souriant, que l’on imagine volontiers farceur, malicieux. Le film est souvent parcouru par une tonalité étrange, appelons cela un terrible humour, une forme de détachement qu’accentue la belle interprétation vocale de Denis Lavant. Cela n’a rien d’un paravent à l’horreur, il s’agit sans doute de la condition pour que cet acte de résistance et de liberté ait pu exister.
Arnaud Hée
Programmateur, enseignant et critique

D’une grande efficacité et d’une grande puissance formelle, hautement dérangeante, La langue ne ment pas se fonde sur les journaux qu’a tenus le philologue juif allemand Victor Klemperer entre 1933 et 1945. Cette activité clandestine obstinée qui fut « le balancier auquel il se tenait », le gage de sa liberté intérieure, a produit un témoignage exceptionnel sur les conditions de vie des Juifs de Dresde sous le IIIe Reich. Mais avant d’être un chroniqueur, Klemperer était un savant.
Pour résister à l’hitlérisme qui faisait de lui un paria et limitait progressivement toute son existence, il décida de s’attaquer avec ses propres armes à « la manière dont cela se manifeste et agit ». Il recueillit dans ses notes les matériaux d’une recherche pionnière, portant sur l’unique objet d’étude qui lui soit resté accessible : « LTI, Lingua Tertii Imperii, la langue du IIIe Reich. »
En analysant la langue nazie dans toutes ses manifestations (discours, journaux, livres ou brochures, conversations), en étudiant sa structure et son mode de propagation, il mit en évidence le pouvoir qu’ont les mots de « penser à la place » de qui les emploie et plus encore, d’agir sur les consciences, de contaminer les esprits.
À l’aide d’archives sonores, visuelles ou imprimées, l’essai filmique de Stan Neumann immerge le spectateur dans cette « sauce brune » qu’est la LTI et donne aux réflexions de Klemperer la force d’une évidence.
(Myriam Bloedé, Images de la culture)

La Scam | Master class de Stan Neumann, autour de « La langue ne ment pas »
Stan Neumann est un auteur et un documentariste français. Après, un parcours scolaire et des études notamment littéraires, il fréquente l’Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC). Il est chef monteur puis passe à la réalisation en 1989. Il dirige avec Richard Copans Architectures.
Principalement auteur de documentaires, il donne également des cours à la Fémis.
En juin 2013, Stan Neumann reçoit à Perpignan un FILAF d’honneur dans le cadre de la 3e édition du Festival international du livre d’art et du film.
Parmi ses films :
- « La Langue ne ment pas » (Arte, 2004), une adaptation des journaux de Victor Klemperer
- « Austerlitz » (Arte, 2015), adapté de l’œuvre de G.W. Sebald
- Série « Le Temps des ouvriers » (Arte, 2020) et livre aux éditions du Seuil
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