La mythologie littéraire a vu en Rainer Maria Rilke le poète « total », habité par la poésie et l’incarnant jusque dans le plus infime de ses gestes quotidiens. Tout en souscrivant au mythe, Stan Neumann fait des Elégies de Duino, ultime recueil rédigé en allemand auquel l’écrivain consacra dix années de sa vie, l’épicentre, le vecteur ou la ligne de force de son oeuvre.
Lus par Rüdiger Vögler, des fragments de ces élégies scandent ce portrait composé de photos, manuscrits et documents d’archives. En épigraphe, cette citation de Rilke caractérise son parcours : « Il suffit, selon moi, de sentir que l’on pourrait vivre sans écrire pour qu’il soit interdit d’écrire. » A partir de la rencontre décisive avec Lou Andreas-Salomé, qui lui enseigne que les vers sont des « expériences », non des sentiments, c’est une somme d’errances à travers l’Europe, d’échecs et de ruptures, de dénuement affectif et matériel. Et surtout, de longues périodes d’incapacité à écrire (six ans pour achever Les Cahiers de M. L. Brigge), avec des accès fébriles où l’écriture jaillit : il compose en une nuit Le Chant d’amour et de mort du cornette C. Rilke, en 15 jours la première Elégie.
(Myriam Bloedé)