La généalogie de la télévision voudrait qu’elle dérive du cinéma, qui, fut un temps, tenta d’y recycler nombre de ses espoirs déçus : ce furent par exemple les rêves utopiques de Rossellini et de Godard. En 1991, Serge Daney, filmé en incrustation sur un flot continu d’images télévisuelles, revient sur cette histoire qui semble être celle d’un indéniable malentendu.
L’entretien est mené hors champ par Peter Stuart et Fernand Melgar. Quelles sont les fonctions de la télévision ? Si Daney balaye bien vite l’hypothèse d’une visée artistique, il concède, d’un point de vue idéaliste, une mission de transmission ou d’amplification de la communication. Mais de fait, la télévision communique sans contenu. Elle propose des visuels en guise d’images, dessine ainsi une sorte de lieu que Daney décrit comme transitionnel, c’est-à-dire suffisamment intégré dans l’univers domestique pour pallier l’absence de communication au sein de la famille lambda. Au fur et à mesure de son perfectionnement, du nivellement des programmes et des discours, de l’effacement des repères déontologiques, la télé a perdu tout ce qu’elle était susceptible de gagner grâce au cinéma, en assumant notamment son rôle d’archiviste de la mémoire du monde. Bernard Mantelli structure en chapitres le discours de Daney, vif et précis, d’une étonnante capacité analytique ; il en canalise le mouvement tout en le prolongeant d’un savant zapping d’images.
(Mathieu Capel)
