La Règle du jeu sort en 1939, quelques semaines avant la déclaration de guerre, et connaît un échec cuisant qui affectera durablement Jean Renoir. Les images d’archives de François Truffaut, grand admirateur du film, ou de Renoir lui-même alternent avec les interviews aujourd’hui d’Olivier Curchod, Bertrand Tavernier ou Olivier Assayas. Anne Kunvari retrace ainsi l’histoire mouvementée de ce film éclatant de modernité.
Si les héritages de la tradition théâtrale française et du burlesque américain sont explicités, si l’ambiguïté politique de Renoir est évoquée sans détours, Anne Kunvari s’intéresse plus particulièrement au rejet du film à sa sortie. Chacun multiplie les hypothèses, mais tous s’accordent sur l’originalité profonde du projet. Le ton a incontestablement choqué ; rarement, une comédie endiablée s’achève en telle tragédie. Les personnages déconcertent, n’étant ni bons ni mauvais mais tous ambivalents – même le terrible Schumacher est émouvant quand sa femme le quitte. Le jeu d’acteurs a, de même, surpris le public ; Renoir utilise accents et maladresses, et détourne leur image connue – Marcel Dalio, par exemple, habitué à jouer les étrangers populaires est ici un marquis. Le style, enfin, joue de la confusion, fait fi de la syntaxe classique. Autant de raisons qui font que La Règle du jeu sera par la suite considéré comme un chef d’œuvre fondateur.
(Martin Drouot)