Des cris déchirent le silence

  • Natacha Thiéry
2024
55min

Synopsis

Un activisme inédit se déploie sur les murs par des collages au code graphique identique, saisis en quatre années de luttes féministes et antifascistes (fin 2019-fin 2023). Gestes politiques, individuels et collectifs, cris de révolte contre le patriarcat systémique et le capitalisme, en réponse à la silenciation des violences, ils modifient à vue l’espace public urbain autant que les subjectivités. Faire effraction, (re)prendre la rue, rendre visible, dans une société de plus en plus violemment clivée, ce qui ne l’était pas. Ici et ailleurs, tant qu’il le faudra.

Mots clés : 
  • Droits de la femme
  • Engagement
  • Féminisme
  • Militantisme
  • Politique
  • société

Un activisme inédit se déploie sur les murs par des collages au code graphique identique, saisis en quatre années de luttes féministes et antifascistes (fin 2019-fin 2023). Gestes politiques, individuels et collectifs, cris de révolte contre le patriarcat systémique et le capitalisme, en réponse à la silenciation des violences, ils modifient à vue l’espace public urbain autant que les subjectivités. Faire effraction, (re)prendre la rue, rendre visible, dans une société de plus en plus violemment clivée, ce qui ne l’était pas. Ici et ailleurs, tant qu’il le faudra.

Des cris déchirent le silence - Natacha Thiéry - le lieu documentaire3

L’AVIS DE TËNK

« Féminicides = 1 Bataclan par an », « Ta main sur mes fesses, mon poing dans ta gueule »… des slogans et autres formules choc ont surgi sur les murs de nos villes. Tracées au pinceau sur des pages blanches, elles affichent à la vue de tous et toutes les violences subies.

Dans son film engagé Natacha Thiéry juxtapose des photos de collages à des sons enregistrés lors de manifestations ou dans la rue. L’accumulation permet de prendre conscience de la nécessité de ces actions. On y voit les dégradations répétées, la nécessité de coller encore et encore.

Au fil des années, les messages se transforment : solidarité avec les iraniennes, mouvement contre la réforme des retraites, ou contre la transphobie. La convergence des luttes prend ici tout son sens dans une occupation physique et dérangeante de l’espace public. « Toi qui arraches nos messages, as-tu quelque chose à te reprocher ? »

Éva Tourrent
Responsable artistique de Tënk, la plateforme du cinéma documentaire

“Mon film cherche à saisir les luttes féministes intersectionnelles et antifascistes et leur résistance aux violences patriarcales polymorphes – capitalistes, xénophobes, coloniales, policières, sociales, économiques, écocidaires.”
— Natacha Thiéry, extrait d’une interview sur Enflammé·e·s.com

Des cris déchirent le silence - Natacha Thiéry - le lieu documentaire1

Natacha Thiéry, extrait d’une interview sur Enflammé·e·s.com

J’ai effectivement pris le parti de construire le film avec et par les collages : ce sont eux qui forment la matière, abrasive, du film. À la rentrée 2019, j’ai été comme foudroyée par les premiers collages vus sur les murs de Paris. Ils exhibaient délibérément ce qui était négligé ou tu dans la société, les violences faites aux femmes (féminicides, culture du viol, etc.) et faisaient surgir dans l’espace public ce qui auparavant restait caché derrière les murs, justement. Puis ils se sont élargis aux personnes discriminées en raison de leur orientation sexuelle ou de leur origine.

Pendant un peu plus de quatre années, jusqu’à fin 2023, j’ai collecté ces collages à Paris et dans quelques villes proches, comme Montreuil, soit au hasard de mes déplacements, soit lors des nombreux rassemblements ou manifestations auxquels j’ai pris part. J’ai éprouvé le besoin, parallèlement, de coller moi aussi, avec d’autres.

Par le film j’ai souhaité suggérer la manière dont les collages ont modifié à vue l’espace public urbain mais aussi les subjectivités. Ils sont faits de lettres peintes à la main sur des feuilles A4. Ce support fragile les rend d’autant plus éphémères qu’ils sont souvent arrachés, effacés par des passants hostiles ou par les services municipaux. Ils n’en laissent pas moins une empreinte durable dans la mémoire de celleux qui les ont vus avant qu’ils ne disparaissent ou deviennent indéchiffrables. C’était essentiel pour moi d’en garder la trace et de les saisir dans tous leurs états, qu’ils soient intacts ou vandalisés, car ces états témoignent du violent clivage de notre société et de la justesse, de la nécessité même, des luttes que portent les colleureuses.

De fin 2019 à fin 2023, c’est une riche séquence de notre histoire récente, à l’échelle nationale mais aussi internationale, dont ces collages rendent compte. A fortiori car ils se font l’écho, en temps réel, d’événements politiques, législatifs, sanitaires, environnementaux, etc. […]

Le premier femmage que je fais apparaître dans le film m’a profondément bouleversée. Il s’agissait d’un mur à Montreuil, éclairé par une lumière verte dans la nuit et au pied duquel brûlaient des dizaines de petites bougies. Sur ce mur étaient inscrits les prénoms de toutes les femmes tuées l’année précédente. Il comportait aussi la mention de victimes anonymes, sans prénom, ce qui le rendait plus poignant encore.

Plus tard, j’ai aussi inclus un « femmage fantôme », rue Bouvier à Paris. Je suis arrivée peu de temps après la mise en place du collage : il n’avait tenu que deux heures. Il n’en restait que des vestiges : une rose par terre, de petits lambeaux de collages sur le trottoir. Les murs, eux, étaient nus. J’ai pris la mesure de leur fragilité, mais aussi de leur persistance dans l’esprit : après quelques mois et années, que de murs-palimpsestes, sur lesquels des textes successifs avaient été inscrits et que je continuais de voir, même après leur disparition…

Un épisode très fort pour moi ont été les collages consacrés au mouvement « Femme Vie Liberté » en Iran, et l’espoir d’une révolution féministe, depuis la mort de Masha Jîna Amini le 16 octobre 2022. L’un d’eux, qui exposait le nombre de morts, enfants et adultes (femmes et hommes), assassinés par le régime, était particulièrement frappant : entre les textes écrits étaient collés leurs visages.

Je pense aussi à ce collage découvert en plein confinement, qui évoquait le féminicide politique, en mars 2018 au Brésil sous Bolsonaro, de Marielle Franco. Avant de le photographier, comme cela m’est arrivé quelques fois, je l’ai « réparé » au marqueur pour que son nom soit à nouveau reconnaissable.

Je voudrais dire aussi l’impact qu’a eue une session de collage, une fois la nuit tombée, avec une enfant de dix ans et le groupe de femmes adultes qui l’accompagnions. Elle était très inquiète de l’état de la planète, de la disparition exponentielle des animaux, et consciente de l’inaction climatique. Pour son anniversaire, elle avait souhaité coller sur le mur de son école. Son message commençait par : « J’ai 10 ans et je suis en colère ».

Natacha Thiéry - le lieu documentaire

Natacha Thiéry est née à Paris.

Depuis l’adolescence, elle a passionnément pratiqué la photographie argentique, puis numérique. C’est d’abord par son goût pour la forme cinématographique épistolaire qu’elle a assouvi son désir de cinéma, en autodidacte, grâce à la caméra Super-8 et aux petites caméras numériques, avec le court métrage « L’Eau des bois » (2018).

Elle appréhende le rapport au réel par l’attention au sensible souvent inattendu qu’il peut offrir, depuis les visages et les gestes jusqu’aux palpitations du vivant ou aux signes sur les murs. La nécessité de garder une trace de ce qui l’émeut ou la révolte est souvent à l’origine de ses projets, qui prennent la forme d’essais documentaires. Elle cherche à nouer pratique du cinéma documentaire et résistance à la violence (dans ses formes multiples), la disparition ou l’oubli.

Parallèlement, elle partage sa passion du cinéma à l’université des Arts d’Amiens en tant qu’enseignante en esthétique et histoire du cinéma et analyse de film. Identifier la singularité formelle des films, ce qu’ils déplacent chez celleux qui les découvrent, est l’une de ses visées.

Ses deux films « Rêve de Gotokuji par un premier mai sans lune » (2020) et « Des cris déchirent le silence » (2024) ont été sélectionnés à Cinéma du Réel dans la section « Front(s) populaire(s) ».

Elle est aussi l’autrice de « Lubitsch, les voix du désir: les comédies américaines, 1932-1946 » (2000, éd. CEFAL) et  « Photogénie du désir : Michael Powell et Emeric Pressburger 1945-1950 », avec une préface de Raoul Ruiz (2010, éd. Presses universitaires de Rennes). 

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