C’est au Fresnoy que Pedro Costa a filmé Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, durant le montage de la troisième version de Sicilia. Son film alterne extraits du film et vues des cinéastes au travail. Se fondant dans la pénombre de la salle de montage, Costa les écoute parler, les regarde faire. Un bréviaire du cinéma selon les Straub, où se complètent théories et pratiques du montage ou du jeu d’acteur.
Repasser encore tel bout de séquence, telle seconde de rush pour y trouver où commencer le plan, pour y déceler l’origine d’un mouvement de bras ou d’un regard…. L’art du montage selon les Straub trouve paradoxalement sa source dans la précision du burlesque du cinéma de Chaplin. Huillet, de dos, rivée à la table de montage, bougonne, obstinée ; Straub papillonne autour d’elle, cigarette à la bouche, ne pouvant retenir ses commentaires. Comiques, passionnants ou rébarbatifs, ils forment un étonnant couple de cinéma. Ne dissimulant aucune de ces facettes, les exploitant au contraire, Pedro Costa, parfois trop présent, parfois presque absent, parvient à rendre la tension permanente au coeur de ce processus créatif. L’intégrité et la radicalité des Straub, tempérées par une passion du cinéma intacte depuis les années 1950, semble gagner ainsi le film de Costa, en parfaite adéquation avec son sujet.
(Mathieu Capel)
