Il se passe des choses étranges dans l’appartement de Joe, situé tout en haut d’une barre d’immeubles de New Lodge, à Belfast… Car il s’est lancé dans la reconstitution de souvenirs de son enfance pendant les « Troubles », conflit armé qui déchira l’Irlande du Nord des années 60 à 1998, et fit particulièrement des ravages dans ce petit quartier catholique. Jolene, Sean, Angie et d’autres voisins se joignent à lui pour revisiter leur mémoire collective, qui a façonné leur vie et leur quartier.
Entretien avec Alessandra Celesia (extrait du dossier de presse)
Il est difficile de parler de Belfast sans tomber dans le gouffre du conflit et tout ce qui y réfère, alors je me suis dit : « Je reste concentrée sur Joe et son histoire. Si je traite son histoire avec honnêteté et sincérité, tout ira bien. » J’ai beaucoup lu pour essayer de comprendre le conflit, mais c’est d’une complexité… J’ai l’impression que même un historien chevronné serait dépassé par toutes les nuances. Certains aspects que je n’avais pas anticipés ont parfois fait surface, tels que les violences faites aux femmes. La violence s’immisce vraiment partout. Au début, j’étais sur la réserve quant aux questions politiques. Je me demandais si j’avais le droit d’en parler. Mais plus j’avançais, plus je me disais qu’il était important de le faire pour éviter que ça recommence. Tout est si fragile. La paix est si fragile.
Peut-être était-il plus facile d’aborder le sujet avec un regard extérieur, sans passif ?
Mon mari, John, m’a avoué qu’il n’aurait sûrement pas pu réaliser ce film, car il en savait trop. Mais pour moi, miraculeusement, ça a marché. Peut-être parce que je n’étais pas consciente du danger [rires]. Dans le quartier, j’étais « la journaliste italienne azimutée », je pense que ça m’a aidée. Aux yeux des habitants, je n’étais de nulle part.
Plus sérieusement, je suis toujours frappée par la générosité des gens qui participent à mes films ; toujours surprise de voir les gens m’offrir tout ce qu’ils ont. Prenez le cas de la sœur de Jolene. C’était compliqué de la filmer, car je n’étais même pas sûre d’avoir son consentement. Je ne savais même pas si je devais le faire ou pas, mais sa famille m’a dit : « Il faut montrer les dégâts provoqués par la drogue dans le quartier. C’est notre devoir. »
Au bout du compte, le film qu’on a fait n’est pas le film que j’avais en tête au départ, mais je l’ai fait avec eux. Je l’ai tissé avec eux, petit à petit.
Le film se conclut sur une envolée musicale cathartique. En regardant le film à nouveau, j’ai remarqué que vous étiez au générique avec les auteurs des chansons. Pouvez-vous nous en dire plus ?
À New Lodge, les trottoirs sont pleins de mauvaises herbes qui repoussent tout le temps. J’ai dit à Jolene : « Il faut qu’on écrive une chanson sur ces mauvaises herbes ! » On a écrit des paroles ensemble et John a peaufiné l’anglais. Dans la chanson, les souvenirs sont comme les mauvaises herbes : quoi qu’on fasse, on ne s’en débarrasse jamais.

Alessandra Celesia
Alessandra Celesia est née en Italie et vit entre Paris et Belfast. Après des études de lettres et de théâtre, elle débute sa carrière dans le spectacle vivant. Elle réalise son premier film, « Loin » (Luntano), en 2006.
Depuis, elle a réalisé, notamment, « Le Libraire de Belfast » (2011, ARTE, Visions du Réel, Meilleur Film et Prix du Public au Festival dei Popoli), « Mirage à l’Italienne » (2013, Cinéma du Réel), « Les Miracles ont le goût du ciel » (2017, Locarno) et « La Mécanique des choses » (2023 ARTE/ZDF, Festival international du film de Turin).
Filmographie
2023 « La Mécanique des choses » (The Mechanics of Things)
2017 « Les Miracles ont le goût du ciel » (Anatomia del miracolo)
2013 « Mirage à l’Italienne » (Italian Mirage)
2011 « Le Libraire de Belfast » (The Bookseller of Belfast)
2006 « Loin » (Luntano)
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