Roman et Sifredy sont en mouvement. Comme leur identité. Ces frères jumeaux avancent dans l’âge adulte, s’évertuant à comprendre le monde autour d’eux. Adolescents, ils ont connu séparément la captivité, la fuite et les parcours d’insertion. Ils ont connu ensemble l’insouciance, la violence, les jugements.
Aujourd’hui, les galères sont persistantes, mais comme ils disent : « le meilleur reste à venir ».
Dans des lieux secrets, souterrains, squats, lisières de bois, sous des ciels nuageux ou des néons à faible tension, là où la clarté peine à s’imposer, ils inventent leur vie, son langage et ses codes.
Sans visages floutés, le film s’attarde sur la complexité de ces figures de « délinquants » en puissance. Le documentaire délaisse la peinture d’une génération pour un portrait sensible et détaillé de ces deux frères et de leur bande d’amis en proie aux mêmes questionnements. Il crée un autre chemin pour interroger ce refus des règles. S’y découvre tout-à-coup la parole poétique, l’art de la joute d’une communauté à part. La caméra saisit les pleins mais aussi les vides : ces gestes refuges qu’ils adoptent lorsque leurs mots peinent, la cigarette, une brindille cueillie et malmenée, la pierre de feu du briquet qu’ils roulent à l’envers.
Le film dévoile une facette rarement entrevue de cette révolte : le calme qui accompagne la tempête.
L’AVIS DE TËNK
Roman et Sifredi semblent flotter entre ciel et terre, en apesanteur du conformisme social. À mi-hauteur, sur les branches d’un arbre ou en haut d’un immeuble désaffecté, ils inventent leur vie qui s’écrit au présent. En dehors du système, ils tissent leur toile, de squats en squats à l’abri du monde, rêvant pour un instant la vie d’hermite.
La caméra de Vincent Pouplard filme ces corps qui ne semblent jamais toucher le sol. Son regard ne les juge pas, il nous les montre tel qu’il les voit, jeunes hommes jouant aux vieux sages. On plane alors au son de leur rap. Le flot de parole s’écoule dans cet espace temps qui semble déconnecté du monde. Pourtant, la réalité de la justice, de la prison, du foyer n’est jamais loin.
La caméra saisit des interstices de vie à la lumière des bougies et tourne parfois comme les joints. Ils sont partout et nulle part, ils sont, essayant de vivre leurs rêves et non pas de rêver leur vie, d’être libres.
— L’équipe de programmation de Cent Soleils

Les Cahiers du cinéma : « Le cinéma se fait ici humble utopie d’hospitalité réciproque, où une jeunesse rebelle peut être entendue avec sérieux. »
Critikat.com : « Ceux que notre société considère alors comme des désaxés, deviennent des personnages allégoriques chargés de poésie, capables d’exprimer pacifiquement leur refus, en retournant vers le spectateur, le miroir du jugement. »
Culturopoing.com : « Dans sa capacité à transformer la réalité en échappée poétique, le film de Vincent Pouplard naît de l’ombre et mène à la lumière. »
Une bouffée d’air frais, comme une claque qui régénère ! (L’indigné du canapé, webzine)

« Apaches » d’un jour, « blousons noirs » dans la nuit, « voyous » toujours, ces « hommes infâmes » qui intéressaient tant le philosophe Michel Foucault
inspirent souvent une certaine peur, de la crainte et du rejet. Visages floutés, voix transformées, corps absents. La figure médiatique du délinquant est depuis plus d’une décennie de plus en plus absente ou caricaturale.
Avec ce film, il y a le désir de donner un autre visage à ceux que l’on nomme « bandits », « voyous », « délinquants » comme si ces qualificatifs avaient la moindre valeur identitaire. Je voulais qu’ils retrouvent corps, voix et pensées.
Quand j’ai rencontré Roman et Sifredi dans le cadre d’un atelier que j’animais, j’ai eu envie de prolonger cette rencontre et d’élaborer avec eux ce qui est devenu ce film. Il s’agissait pour moi d’ouvrir une porte, de rendre accessible une rencontre avec des jeunes « hors la loi » parfois, mais avant tout hors-normes.
Il n’y a pas de jeunesse ennemie, pas de « solution » carcérale à la délinquance des mineurs. Les maux se traitent avec patience.
La nécessité de ce film émerge dans un contexte de désertion progres- sive de l’État quant au soutien aux actions de prévention, la fuite par la criminalisation de la misère sociale, la posture de la sourde oreille et de la règle sans appel.
L’ordonnance de 1945 posait le caractère exceptionnel de l’incarcération pour un mineur délinquant et la nécessaire primauté d’un travail d’insertion sur la punition carcérale. Une décennie plus tôt, Jacques Prévert prenait la plume pour mettre en poème La chasse à l’enfant. Ces mots dénonçaient la battue organisée à Belle-Île révolte suite à l’évasion de 55 enfants du centre de correction et d’éducation.
— Vincent Pouplard, réalisateur
Les complices présents pendant toute la réalisation de ce film sont :
Jean Genet – ne serait-ce que pour ces quelques lignes. « Vous pâlissez de honte à lire le poème de l’adolescent aux gestes criminels. » – « Le Condamné à mort » (1942).
Albertine Sarrazin – pour sa vie : la prostitution, la délinquance, l’incarcération dans les prisons pour femmes, qu’elle raconte avec dans « L’Astragale » (1965).
Fernand Deligny, pour son livre « Graine de crapule – Conseils aux éducateurs qui voudraient la cultiver » (1945).
Anonymes, les dizaines de jeunes croisés en atelier, aux trajectoires bouleversantes et particulièrement le manuscrit de : « C’est ça nos vies », fruit d’un travail poétique mené avec des mineurs incarcérés à la Maison d’arrêt d’Angers en 2001.
ENTRETIEN AVEC VINCENT POUPLARD (EXTRAIT – INTERVIEW ENTIÈRE À LIRE DANS LE DOSSIER DE PRESSE)
Leur isolement progressif tient à ce qu’ils étaient en train de vivre au moment du tournage. Ils ont eu envie de se séparer de leur groupe d’amis et de partir en forêt. Paradoxalement, ils ont continué à accepter ma proposition de les filmer. Comme lors du tournage de la scène des marrons : un matin je me pointe tout seul sans équipe, je les retrouve en bas de chez eux et ils me proposent de les accompagner en forêt. Ils avaient repéré des endroits et voulaient me les montrer.
À cette époque, ils partaient aussi chacun leur tour vivre seuls une semaine dans la nature en se construisant une cabane dans les bois des bords de l’Erdre. Ils étaient vraiment dans une recherche d’apaisement : la prison a éminemment marqué Roman et il avait vraiment besoin d’air et de s’échapper de son groupe d’amis. C’est là qu’il y a eu de ma part des efforts de mise en scène pour reconstruire cet état. Cela s’est passé notamment dans la scène de l’arbre qui est une forme d’échappée lyrique.
Comment avez-vous notamment travaillé la mise en scène sur cette séquence ?
Roman et Sifredi sont montés deux fois à l’arbre : une première fois avec une discussion que je leur avais soufflée (leur rap- port à cet arbre qui leur avait notamment permis d’échapper à des flics). Puis en se promenant dans la forêt pour faire des plans d’introduction à la séquence, j’ai vu le plan large qu’il était possible de faire. Je leur ai alors demandé s’ils voulaient bien remonter dans l’arbre avec une autre discussion en tête pour que je puisse les filmer d’aussi loin. Roman et Sifredi m’ont permis de faire de la mise en scène parce qu’ils étaient prês à refaire des gestes.
Quelle est alors votre limite dans votre intervention sur le réel ?
Tant qu’il s’agit du corps et de gestes, tant que cela permet à l’œil du spectateur de se plonger dans un déploiement du corps dans l’espace, cela ne me pose pas de problème.
Notre dispositif de tournage impliquait parfois que mon chef opérateur ne réussisse pas à attraper un geste parce que Roman ou Sifredi l’avait fait trop rapidement. Il suffisait alors de leur demander de le refaire plus lentement. Par contre, je ne peux pas éthiquement leur faire redire des choses…
Quelle est la distinction que vous faites ?
J’aime bien la spontanéité d’une parole et qu’elle puisse surprendre celui qui vient de la dire. Et moi par là même. Si je demande à Roman ou à Sifredi de redire quelque chose, je rentre dans un jeu qui correspond presque à une écriture de ce qui est dit et de choix au moment du tournage.
Un geste peut être plus juste si on le refait alors que je crois que ce n’est pas le cas pour une parole qui doit rester innocente ou primitive.
Je suis très sensible à l’oralité et à son émotion première. J’avais la chance de pouvoir encore tourner à mesure que le montage avançait, et dans nos discussions de montage, la tentation était parfois immense. Mais je m’en suis surtout servi pour peaufiner des transitions narratives.
Texte : dossier de presse et Plateforme, pôle cinéma audiovisuel des Pays de la Loire – www.laplateforme.net

Vincent Pouplard est né en 1980.
Après des études croisées de sociologie et de photographie, il réalise en 2010 son premier film, « Le Silence de la carpe ». Son cinéma s’écrit avec la complicité des personnes qu’il choisit de filmer.
Dans une dynamique d’éducation populaire, Vincent anime également des ateliers de pratique artistique et de création collective. Il intervient en outre dans le cadre de formations et de masterclass lors de festivals et au sein de cursus universitaires.
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