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Cycle | Arpenter le monde

“Carnet de notes pour une Orestie africaine” de Pier Paolo Pasolini

jeudi 30 mars 2023
à 18:30
Maison de l'image, Strasbourg

Pier Paolo Pasolini souhaite adapter une trilogie théâtrale antique, L’Orestie d’Eschyle, dans le contexte de l’Afrique contemporaine. Pour ce faire, il part en Tanzanie à la recherche des personnages de son futur film

“Carnet de notes pour une Orestie africaine”
Pier Paolo Pasolini | 1970 | Italie | 65’ | VOST | IDI Cinematografica, Film Dell’Orso, Rai

Entrée libre, dans la limite des places disponibles.

Une séance présentée dans le cadre du cycle “Arpenter le monde” programmé et animé par les étudiants de 3ème année du parcours cinéma de la licence arts du spectacle à l’Université de Strasbourg, en partenariat avec le Lieu documentaire, dans le cadre de leur formation consacrée à la sélection, la programmation et l’animation d’un cycle de films documentaires.

Pier Paolo Pasolini souhaite adapter une trilogie théâtrale antique, L’Orestie d’Eschyle, dans le contexte de l’Afrique contemporaine. Pour ce faire, il part en Tanzanie à la recherche des personnages de son futur film.

Après avoir collecté ces « notes » filmiques qui l’amènent à s’interroger en voix-je sur la situation de l’Afrique prise selon lui entre antiquité et modernité, il revient en Italie questionner un groupe d’étudiants africains pour solliciter leurs avis sur les images qu’il a déjà tournées.

« Il a trouvé dans "L’Orestie" les mêmes conditions dans lesquelles il écrivait, il composait ses poèmes et s’exprimait dans les essais. Il a fait et refait, en pensant et en repensant. Cette possibilité n’est généralement jamais donné à un cinéaste jusqu’à aujourd’hui.
 Refaire, penser, attendre, remodeler, détruire et refaire, c’est en revanche ce qu’un écrivain et un peintre peuvent se permettre. Dans ce sens, [L’Orestie] est une oeuvre exemplaire de Pier Paolo Pasolini car il l’a créé petit à petit, avec le temps. »

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« L’Orestie résume l’histoire de l’Afrique de ces cent dernières années. Le passage presque brutal et divin d’un état “sauvage” à un état civil et démocratique. La succession de rois qui, au cours de la terrible stagnation séculaire de la culture tribale et préhistorique, ont dominé les terres africaines – à leur tour sous la domination d’Erinyes noires – s’est comme subitement ébranlée. La Raison a quasiment instauré de son propre chef des institutions démocratiques. Il faut ajouter que le problème véritablement brûlant et actuel, dans les années soixante – les Années du Tiers-monde et de la Négritude – est la “transformation des Erinyes en Euménides”, d’où le génie d’Eschyle d’avoir tout préfiguré. Toutes les personnes évoluées en conviennent (il suffit de se référer, par exemple, aux témoignages mondiaux du Festival de Dakar) : la civilisation archaïque – appelée superficiellement “folkore” – ne doit pas être oubliée, méprisée ou trahie. Elle doit être intégrée à la nouvelle civilisation, de manière à l’enrichir et à la rendre particulière, concrète, historique. Les redoutables et fantastiques divinités de la préhistoire africaine doivent subir le même sort que les Erinyes et devenir des Euménides. »

L’Afrique selon Pasolini
par Anne-Violaine Houcke, maîtresse de conférences en cinéma à l’Université Paris Nanterre.

Extrait de l’article publié dans le dossier “Pasolini, de fable en réel” dans la revue Balises / BPI n°5 – avril à septembre 2021

En 1968-1969, Pier Paolo Pasolini réalise Carnet de notes pour une Orestie africaine. Ce film, adapté de la pièce de théâtre créée par Eschyle dans l’Antiquité, met particulièrement en jeu la tension politique entre archaïsme et modernité et la poétique de l’inachèvement qui irriguent toute son œuvre (…)

Traduire. « Comme un chien sur un os »

Fin 1959-début 1960, Pasolini traduit l’Orestie d’Eschyle pour une mise en scène dans le théâtre grec de Syracuse. Dans un texte accompagnant sa traduction, il écrit s’être jeté sur le texte « pour le dévorer comme une bête sauvage, tranquillement : un chien sur un os ». On peut voir là le besoin charnel d’incorporer Eschyle, le texte littéraire, le monde grec, autant qu’un geste sacrilège et régénérateur, qui bat en brèche une tradition de la traduction faite d’une révérence mortifère envers les classiques. Les mots du poète transposent, actualisent le mythe, comme lors de toutes ses rencontres avec les auteurs antiques.

Dix ans plus tard, son Orestie cinématographique joue à nouveau contre le classicisme. Non seulement Eschyle devient une clé de lecture des tensions entre traditions et modernité dans l’Afrique postcoloniale, mais la récriture filmique dépèce l’œuvre originelle et la restitue en morceaux, sous la forme de « notes » pour un film à faire. La guerre de Troie est traduite par des images d’archives de la guerre du Biafra ; le recueillement d’Électre sur la tombe d’Agamemnon est l’occasion d’une séquence ethnographique d’enregistrement/reconstitution de gestes rituels accomplis par une jeune Africaine ; la prophétie de Cassandre, chantée en free jazz dans un studio de Rome, fait résonner la rage des millions de sous-prolétaires noirs américains dont Pasolini fait, en voix off, les leaders des mouvements révolutionnaires du Tiers-monde. (…)

S’inventer. « Ma seule alternative »

L’Orestie africaine est aussi, d’une certaine manière, autobiographique. En tout cas : intime. Juste après le générique, Pasolini filme son reflet dans la vitrine d’un magasin africain, signifiant évidemment que l’invention, la mise au jour du réel est toujours une mise en forme, médiée par un regard. On aurait tort de voir là une signature. C’est plutôt l’inverse, car Pasolini indique ici ce qu’il est venu chercher dans le Tiers-monde, un des objets de son enquête : lui-même.

L’Afrique est un miroir, la tension africaine entre archaïsme et modernité est le drame intime du poète italien, bourgeois, occidental, rationnel, moderne, qui sait ne pouvoir vivre et créer qu’en laissant remonter la part irrationnelle de lui-même, en laissant opérer son altérité intime, sa différence. Une poétique « Euménide ». C’est ainsi qu’on peut entendre ce vers final du poème « Fragment à la mort » issu de La Religion de mon temps : « Afrique ! Ma seule alternative… »

CC BY-NC-SA 4.0

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Pier Paolo Pasolini est un écrivain, poète, peintre, journaliste, traducteur, dramaturge, artiste visuel, acteur, scénariste et réalisateur italien, né le 5 mars 1922 à Bologne, et assassiné dans la nuit du 1er au 2 novembre 1972, sur la plage d’Ostie, près de Rome.

Son œuvre artistique et intellectuelle, éclectique et politiquement engagée, a marqué la critique. Connu notamment pour son engagement marxiste, mais se situant toujours en dehors des institutions et des partis, il observe en profondeur les transformations de la société italienne de l’après-guerre, et ce, jusqu’à sa mort en 1975. Son œuvre suscite parfois des procès en « obscénité » (comme pour son dernier film, Salò ou les 120 Journées de Sodome, sorti en salles l’année même de sa mort), et provoque des polémiques par la radicalité des idées qu’il y exprime.

Il se montre très critique, en effet, envers la bourgeoisie et la société consumériste italiennes alors émergentes, et prend aussi très tôt ses distances avec l’esprit contestataire des étudiants en 1968.

Avec plus de quatorze prix et neuf nominations, l’art cinématographique de Pasolini s’impose, dès 1961 avec notamment L’Évangile selon saint Matthieu, Théorème, Médée puis avec la Trilogie de la vie.

En écho, une sélection de films à consulter dans notre vidéothèque

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