À travers le texte de Didier Eribon interprété par Adèle Haenel, « Retour à Reims [Fragments »] raconte en archives une histoire intime et politique du monde ouvrier français du début des années 50 à aujourd’hui.
Le film a obtenu le César du meilleur documentaire en 2023.
L’AVIS DE TËNK
« Retour à Reims [Fragments] » est une des rares propositions de nous raconter le monde ouvrier. Jean-Gabriel Périot nous en fait une proposition originale, globale et kaléidoscopique.
Comme à son habitude, il donne forme a son récit à travers des images d’archives, des reportages d’époque ou des extraits de fiction, le tout rythmé par la voix off d’Adèle Haenel et la musique.
[Fragments], c’est le sous-titre ajouté à cette adaptation du livre de Didier Eribon.
Fragments de la mémoire personnelle. Le récit part d’un journal personnel, une histoire ouvrière et familiale, de ses parents, ses grands-parents.
Fragments de la vie quotidienne. Les mariages arrangés, les sorties au bal, le café des hommes, le logement exigu et la double-journée des femmes, l’usine la journée et les taches domestiques le soir.
Fragments de théorie critique. Le film propose une réflexion sur le vote ouvrier. Pourquoi est-il passé d’une attache traditionnelle au Parti Communiste à un vote massif pour l’extrême droite ?
– Corentin Charpentier, régisseur cinéma
« Le film enfle dans un dernier mouvement qui laisse le dernier mot à la lutte collective, pareille à une fête de la colère. »
(Sandra Onana, Le Monde, 30 mars 2022)
ENTRETIEN AVEC JEAN-GABIEL PÉRIOT (EXTRAIT)
« Retour à Reims » me permettait d’une certaine manière de parler de ma propre histoire familiale. Ma sœur et moi avons été les premiers à faire des études supérieures. Je suis, tout comme Marie-Ange et Didier, ce qu’on appelle un transfuge de classe. J’ai accepté d’adapter ce texte parce que les questions politiques qu’il soulève me sont proches, et parce ce que cela me permettait de ramener au présent des images de représentation du monde du travail et de la condition ouvrière.
Chercher des archives de témoignages de travailleurs et de travailleuses qui prennent sur eux pour se raconter, leur donner une forme et les montrer est ma manière de redonner un visage et une voix à ces gens, et indirectement à mes proches, exclus de l’histoire et de la représentation.

Image du film, extraite de « Journées de printemps – Ciné Archives » – Sous la direction de Jean Vénard – 1948
« Les images et extraits qui composent ce film de montage sont issus du patrimoine cinématographique et télévisuel français (fictions, documentaires, actualités) et le film est découpé en deux mouvements: l’un fait entrer le spectateur dans la vie d’une famille ouvrière qui subit les aléas de sa condition, l’autre explique comment s’est organisée collectivement la résistance à ce quasi-esclavage.
Le premier mouvement s’amorce avec un extrait de film sur les filles-mères, une ouverture symbolique qui souligne le statut particulièrement défavorable des femmes et qui sera suivie par l’évocation des avortements clandestins, du harcèlement sexuel, de la double journée des ouvrières, dites «émancipées» parce qu’elles ont un emploi en dehors du foyer.
La vie des hommes n’est guère plus enviable, entre la dureté du travail à l’usine, les enfants trop nombreux à la maison et les beuveries entre copains. Le plus désespérant est sans doute la conscience de l’injustice du rapport de classe, conscience qui s’exprime dans le deuxième mouvement du film, à partir de l’appel de « La Vie est à nous » (1936) : «Camarade, reprends confiance, tu n’es pas seul».
Le corps social se soude et se divise au rythme des espoirs et des désillusions qui agitent les époques. Bientôt, la classe ouvrière se détachera des partis politiques classiques pour rejoindre, d’abord timidement puis plus massivement, l’extrême droite.
À ce tableau grinçant d’une population qui se referme sur elle-même, Jean-Gabriel Périot a voulu opposer en épilogue le réveil de la jeunesse, le retour de l’engagement et de l’action, la velléité de redonner du sens à la lutte, aux luttes, à toutes les luttes. »

Né en France en 1974, Jean-Gabriel Périot a réalisé plusieurs courts métrages à la frontière du documentaire, de l’animation et de l’expérimental.
Il développe son propre style de montage qui interroge la violence et l’Histoire à partir d’archives filmiques et photographiques.
Ses films, dont « Dies Irae », « Eût-elle été criminelle… », « Nijuman no borei (200000 fantômes) » ou « The Devil » ont été récompensés dans de très nombreux festivals à travers le monde.
Son premier long métrage, « Une jeunesse allemande », a fait l’ouverture de la section Panorama au festival de Berlin 2015 avant de sortir sur les écrans et de remporter de nombreux prix en festivals.
Son film suivant, « Nos défaites », a été présenté au Forum du Festival de Berlin 2019.
Son long métrage « Retour à Reims [Fragments] », a été sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs de Cannes en 2021 et a reçu le César du meilleur documentaire en 2023.
Son dernier film en date, « »Se souvenir d’une ville », est sorti au cinéma en France en novembre 2024.
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