André Weckmann (1924, Steinbourg en Alsace – 2012, Strasbourg). Incorporé de force dans la Wehrmacht en 1943, blessé en Russie, puis déserteur, il se cache en Alsace à la fin de la guerre, et devient responsable F.F.I.
Il est l’auteur d’une œuvre multiple, poétique, romanesque, pamphlétaire écrite en trois langues : alsacien, français et allemand.
Le questionnement de la langue est au cœur de toute son œuvre. Avec lui, la poésie dialectale s’éloigne du romantisme ou du sentimentalisme.
Il aime à dire qu’il est là où on ne l’attend pas, un poète engagé – ou enragé – qui ne veut pas se laisser enfermer. Un poète de l’amour, l’amour qui d’ailleurs, dit-il, est aussi un engagement. Ce film est un portrait pour approcher et faire aimer son œuvre.
Läufsch umesunscht / eme draeum nooch / fàngsch ne net in / läufsch àwer garn / dann / solàng wid läufsch / gets iërix e draeum.
Courir après un rêve / et ne jamais l’attraper / mais courir quand même / car aussi longtemps qu’on court / il y a quelque part / un rêve.André Weckmann
« André Weckmann : la longue marche » par Antoine Wicker
Il nourrit, depuis toujours, cette double passion, y dit-il: l’écriture, comme chacun sait, et la marche en montagne, ce que l’on imaginait bien aussi. Passion solitaire dans l’un et l’autre cas, et farouchement défendue si souvent, depuis ce retour de guerre – de l’enfer de Tambow, en Ukraine – qui inspira à ce très jeune incorporé de force, ou lui imposa plus exactement, de rompre, dit-il, avec le temps d’avant.
De rompre en même temps, durablement, et il le dit aussi, avec tous les consensus de la culture et de la culture politique de masse – André Weckmann est un minoritaire irréductible, là où tant d’autres, sur cette scène régionale, cultivèrent, et cultivent encore l’obsession d’assez vains consensus prétendument populaires.
Et de cette essentielle solitude – «Est-il un poète qui ne soit aussi un révolté ?», dit-il -, une œuvre considérable porte témoignage. Œuvre poétique et romanesque, dialectale par choix, et germanophone naturellement, francophone assez souvent aussi : sur ce corpus littéraire de Weckmann, ce portrait filmé de l’écrivain – « Une poignée d’orties », réalisé par Daniel Coche pour France 3 et Dora Productions – n’informe qu’incidemment, là où l’occasion eût été bonne, elles ne se présentent pas si souvent à la télévision, de l’articuler méthodiquement sur l’histoire même, politique et culturelle, de l’Alsace contemporaine. Où l’homme et l’oeuvre ont nourri, justement, leur passion.
C’est donc une chronique plus intime que tente ce portrait, avec un parti-pris mélancolique – souligné par la clarinette de Pierre Zeidler – un brin complaisant, qui certes ne trahit pas l’humeur du poète, mais la désarme quelque peu.
Nous sommes dans le décor du café villageois familial de Steinbourg près de Saverne, à deux pas du canal – ce café cristallise, dans la vie de Weckmann, toute l’intensité, et préservée jusqu’à l’âge le plus mûr, de la relation de l’enfant à père et mère. Et nous sommes dans l’autre décor de la colline vosgienne où le vieil homme toujours se réfugie, d’où contemple et sa vie et la plaine d’Alsace.
À l’image, en ses premières et ultimes pages, du narrateur de « TamieHeimaT », son dernier récit publié, qui recueille, lui, pure émotion d’une vie entière. De la longue marche de Weckmann.
(in DNA, 28 février 2024)
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