Nous sommes au Muséum National d’Histoire Naturelle. Dans le secret d’un atelier, du haut de son échelle, un homme en blouse procède à de minutieuses retouches de couleurs sur la tête d’une girafe. Non loin de là, un autre homme repeint à larges coups de brosse le dos d’un éléphant. Dans la pièce voisine, un troisième recolle une à une les plumes d’un perroquet : fermée au public depuis vingt-cinq ans, la Grande Galerie de Zoologie va bientôt rouvrir…
Le film raconte la métamorphose de ce lieu et la résurrection de ses étranges pensionnaires, restés si longtemps dans la pénombre et dans l’oubli. Peu à peu, le film nous entraîne dans les laboratoires et les réserves, à la découverte du rêve et de l’étrangeté… Enfin, la Galerie est prête, l’immense cortège des animaux immobiles se met en marche. Chacun regagne alors sa place pour une nouvelle éternité.
Un musée en chantier, une collection ancienne qu’il s’agit de repenser et de donner à voir à nouveau… « Un animal, des animaux « semble rejouer le principe de « La Ville Louvre » à la Galerie de Zoologie du Muséum d’Histoire naturelle, mais Philibert y raconte une tout autre aventure.
Naturalisés par des mains expertes et mis en place selon une scénographie imaginée par René Allio (cinéaste et mentor de Nicolas Philibert), les animaux y sont bel et bien transformés en objets. Pourtant, cadrage et montage concourent à leur rendre vie, jusqu’au discret reflet lumineux que Philibert fait briller dans leurs yeux de verre.
Ce ne sont pas seulement les vivants qui « réparent » les morts (un renard écrasé, désormais fier pensionnaire des réserves), les immortalisent et les organisent en un cortège sur fond de sons de leur savane native. Ce sont les morts qui regardent les vivants. Toutes les espèces, même disparues, rappellent à l’Homme leurs origines communes.
Charlotte Garson (ADRC)
Nicolas Philibert, Ours d’Or pour « Sur l’Adamant », Berlinale 2023, par Martin Kraft CC BY-SA 4.0
« Je n’ai jamais décidé de devenir documentariste, c’est-à-dire de camper une fois pour toutes à l’intérieur d’un espace donné. D’ailleurs je déteste ce mot : documentariste. Il contribue à dresser une frontière autour d’un genre qui n’a jamais cessé d’évoluer et dont chacun connaît au contraire la porosité, la variabilité des tracés, les liens presque consanguins qu’il entretient avec celui qu’on lui oppose toujours, celui de la fiction. Tant il est vrai que les images sont moins fidèles au « réel » qu’aux intentions de ceux qui les produisent. Mais il se trouve que mon premier film était un documentaire, que le faire m’a donné envie d’en tourner un autre, puis un autre, et ainsi de suite jusqu’à aujourd’hui. » (Nicolas Philibert)
Nicolas Philibert est né à Nancy en 1951. Après une licence de philosophie, il se tourne vers le cinéma et devient assistant-réalisateur, notamment auprès de René Allio et Alain Tanner.
En 1978, il co-réalise avec Gérard Mordillat un premier long métrage documentaire, « La Voix de son maître », dans lequel une douzaine de patrons de grands groupes industriels (L’Oréal, IBM, Thomson, Elf…) parlent du pouvoir, du commandement, de la hiérarchie, du rôle des syndicats… esquissant peu à peu l’image d’un monde dominé par la finance.
De 1985 à 1987, il tourne plusieurs films de montagne et d’aventure sportive pour la télévision, puis il se lance dans la réalisation de longs métrages documentaires qui seront tous distribués en salles : « La Ville Louvre » (1990), « Le Pays des sourds » (1992), « Un animal, des animaux » (1995), « La Moindre des choses » (1996) – à la clinique psychiatrique de La Borde – ainsi qu’un film-essai avec les élèves de l’école du Théâtre National de Strasbourg : « Qui sait ? » (1998)
En 2001, Nicolas Philibert réalise « Être et avoir », sur la vie quotidienne d’une école « à classe unique » dans un petit village d’Auvergne. Prix Louis Delluc 2002 et Prix du meilleur film documentaire du cinéma européen 2022 , ce film connaîtra un immense succès en France et dans le monde entier.
Avec « Retour en Normandie » (2007), il revient sur les traces d’un autre film, tourné trente ans plus tôt par le cinéaste René Allio, avec des paysans dans les rôles principaux : « Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère… ». Alors jeune assistant-réalisateur, Nicolas Philibert avait passé trois mois à les recruter, de village en village, de ferme en ferme…
Avec « Nénette » (2010), tourné à la Ménagerie du Jardin des Plantes à Paris, il nous entraîne dans un étrange face à face avec la doyenne des lieux : une femelle orang-outan, en captivité depuis 37 ans.
Dans « La Maison de la radio » (2013), il nous plonge au cœur de Radio France, à la découverte de ce qui échappe habituellement aux regards : les mystères et les coulisses d’un media dont la matière même, le son, reste invisible.
« De chaque instant », tourné au sein d’un Institut de Formation en Soins Infirmiers, sort en salles 2018.
En 2023, son dernier film « Sur l’Adamant », remporte l’Ours d’or à la Berlinale.
En 2024, il préside le jury de l’Œil d’or, le prix du documentaire du Festival de Cannes. Au cinéma, sort son film « Averroès & Rosa Parks ». Dans un système de santé de plus en plus exsangue, comment réinscrire des êtres esseulés dans un monde partagé ?
Depuis une quinzaine d’années, plus de 120 hommages et rétrospectives de ses films ont été organisés de par le monde, du British Film Institute (Londres) au MoMa (New York), en passant par Bombay, Calcutta, Damas, Séoul, Tokyo, Pékin, Shanghaï, Sidney, Melbourne, Moscou, Varsovie, Zagreb, Berlin, Milan, Vienne, Amsterdam, Helsinki, Vilnius, Copenhague, Edinburgh, Lisbonne, Madrid, Thessalonique, Barcelone, Tel Aviv, Mexico, Bogota, Santiago, Buenos Aires, Sao Paolo, Chicago, Berkeley, Harvard, Montréal…
(Source : Site de l’auteur)
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