A l’initiative de Chris Marker, Loin du Vietnam offre en 1966 comme un précipité de fin de Nouvelle Vague : Ivens, Resnais, Klein, Godard, Lelouch, Varda, Loridan et d’autres (techniciens, écrivains) impliqués dans le renouveau cinématographique des années 1960 expriment « leur solidarité avec le peuple vietnamien en lutte contre l’agression », à la lisière de la fiction, du documentaire et du film militant.
Onze chapitres composent Loin du Vietnam, film plurivoque, à la fois voyageur et casanier, militant et prudent, parfois bavard, sachant se taire ailleurs pour souligner l’impact de bandes d’actualités vietnamiennes. Un matériau d’une diversité rare, qui agrège images d’archives et scènes jouées, convoque GI’s et Vietcong ou, de part et d’autre d’une avenue américaine, les pro et les anti. Cette approche cubiste entend saisir l’évènement sous tous ses angles, et l’on s’étonne, par conséquent, de son incroyable cohérence. Sans doute y reconnaît-on la main de Marker, dont ce film présage du Fond de l’air est rouge dix ans plus tard, de même que se dissout dans images et témoignages l’identité de chacun des réalisateurs impliqués. Seul Godard conserve son insularité : Camera Eye, inséré au cœur du film comme un emblème, est la marque encore vive d’une question de morale cinématographique – un cinéaste peut-il documenter autre chose que lui-même, sous peine de travestissement ? (Mathieu Capel)