« Sculpter la mémoire » nous invite au cœur de la création d’une œuvre de la sculptrice Cécile Raynal. Le temps d’une semaine, l’artiste se rend chaque jour chez Pierre Rolinet, 98 ans, pour faire émerger d’un bloc de terre, un portrait de cet homme, rescapé du camp de concentration Natzweiler-Struthof.
Pierre a des choses à dire, il ne viendra jamais à bout de son expérience dans les camps. Cécile l’écoute en modelant la terre. Avec tendresse, la caméra observe cet échange, le récit de l’homme, les gestes de la femme et la naissance d’une œuvre qui inscrira pour longtemps le regard de Pierre dans nos mémoires.
Les portraits que sculpte Cécile Raynal naissent toujours d’une rencontre, au sens le plus fort du terme. Pour elle, chaque corps modelé devient l’enveloppe d’un récit unique : sous ses doigts, les visages livrent leur histoire intérieure. Son rapport intense au modèle – et à l’autre en général – lui permet de pénétrer la chair, d’embrasser la biographie, et de faire émerger, par la matière, toute la sensibilité de ces vies.
Au-delà de sa démarche artistique, l’excentricité de Cécile m’a toujours fasciné. J’ai pressenti que le lien avec ses modèles devait être d’une grande richesse humaine : drôle, grave, intime, parfois exubérant. Depuis longtemps, je rêvais de la filmer en pleine création.
Ce film est né le 12 septembre 2020, lors de la commémoration du camp de Natzweiler-Struthof en Alsace. Ce jour- là, Cécile a croisé Pierre Rolinet, « un grand homme », venu prononcer un émouvant discours. Bientôt centenaire, ancien résistant, Pierre a été condamné à mort puis déporté en 1944 dans ce camp – le seul en territoire français, où près de 20 000 personnes ont péri entre 1941 et 1945.
Sur scène, Pierre a livré un témoignage d’une incroyable force, bouleversant l’assemblée, composée notamment de nombreux jeunes. Dans la cour du camp, lorsque Cécile l’a vu se lever de son fauteuil, gravir les marches de l’édifice et partager pendant vingt minutes ses souvenirs de vie et de mort, il lui est apparu essentiel de faire son portrait.
De là est né un projet : celui de donner corps, par la sculpture, non seulement à Pierre Rolinet, mais à toute la multiplicité des histoires individuelles, dramatiques, singulières, qui habitent ces lieux et cette mémoire collective. Cécile s’est rendue chez Pierre à l’automne 2020. Durant une semaine, dans un atelier improvisé au sous-sol de sa maison, ils ont partagé récits et séances de pose, et vu naître deux portraits en terre.
Pierre Rolinet : un témoin inlassable de la mémoire
Né en 1922 dans le Doubs, Pierre Rolinet fait partie de cette génération marquée à jamais par la Seconde Guerre mondiale. Dès l’entrée dans la vie active, il rejoint les usines Peugeot en 1940, alors que la France vient de basculer sous l’Occupation allemande. Son engagement ne tarde pas à se dessiner : en 1942, il refuse de partir travailler en Allemagne, position courageuse qui le conduit à rejoindre la Résistance au sein de l’Organisation Civile et Militaire (OCM) Glay.
Son action résolue ne reste pas sans conséquence. Arrêté, Pierre Rolinet est déporté en avril 1944 au camp de Natzweiler-Struthof. Il y endure pendant plusieurs mois les conditions inhumaines des camps nazis.
À la fermeture du Struthof, il est évacué vers Dachau en septembre 1944, puis transféré au camp annexe d’Allach, près de Munich. Il ne retrouve la liberté qu’en avril 1945, lors de la libération du camp d’Allach par l’armée américaine.
Mais Pierre Rolinet ne laisse jamais son passé sombrer dans l’oubli. Dès sa retraite, il fait de la transmission de la mémoire de la déportation un combat quotidien, multipliant les témoignages auprès des jeunes et du public pour rappeler les horreurs vécues et la nécessité de ne jamais oublier.
Décédé le 25 avril 2022, Pierre Rolinet laisse le souvenir d’un homme d’engagement, porteur inlassable de la mémoire, animé par la conviction que le récit des survivants reste essentiel pour prévenir le retour de l’oubli et de la barbarie.
Jean-Marie Gigon, réalisateur de « Sculpter la mémoire », revevant une Étoile de la Scam, en décembre 2025 à Paris, ici en compagnie de Thierno Souleymane Diallo, réalisateur du « Cimetière de la pellicule », autre film primé par une Étoile de la Scam.
Jean-Marie Gigon est un réalisateur, producteur et scénariste français, autodidacte, dont le parcours dans le cinéma débute à l’âge de 22 ans avec la réalisation de son premier court-métrage de fiction, « Il est encore temps », sorti en 1986. Il enchaîne notamment avec « Le Voisin de Paul » en 1989, sélectionné dans de nombreux festivals, puis « Le Refuge » en 1994.
Dès 1981, il se forme sur le terrain, travaillant sur toutes les phases de fabrication de films documentaires et de fiction. Il collabore avec des comédiens reconnus tels que Jean-François Stévenin, Michael Lonsdale, André Wilms et Edith Scob.
En 2005, Jean-Marie Gigon fonde la société SaNoSi Productions, installée dans la région Centre-Val de Loire, à Maintenon (Eure-et-Loir). Cette structure produit documentaires pour le cinéma, programmes courts, et fictions, et se caractérise par une approche solidaire et éthique, tournée vers la diversité et les enjeux du monde contemporain.
Sous sa direction, SaNoSi Productions a accompagné la création de plus de 80 films, dont une majorité de premières œuvres portées par des auteurs du monde entier. Les documentaires « Le Grand Bal » (2018), « Mes chers espions » (2020), « FREDA » (2021), et « Pierre feuille pistolet » (2023) comptent parmi les titres les plus remarqués. En 2023, il créé sa propre plateforme VOD, SaNoSi.live, pour donner plus de visibilité aux films qu’il produit.



