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« Coconut Head Generation » de Alain Kassanda

jeudi 18 septembre 2025
à 19:00
La Maison Citoyenne, Strasbourg Neudorf

Projection du film « Coconut Head Generation » de Alain Kassanda (1h29, 2023, VOST, Grand Prix du Cinéma du Réel 2023) et débat, proposés par La Maison Citoyenne et Le Lieu documentaire, dans le cadre du nouveau rendez-vous mensuel documentaire au Neudorf à Strasbourg.

Entrée libre et gratuite, dans la limite des places disponibles.

  • Alain Kassanda
2023
89'
  • Ajímátí Films

Tous les jeudis un groupe d’étudiants de l’université d’Ibadan, la plus ancienne du Nigeria, organise un ciné-club, transformant un petit amphithéâtre en une agora politique où s’affine le regard et s’élabore une parole critique. « Coconut Head Generation », expression méprisante pour désigner une jeunesse bornée et sans cervelle, prend un tout autre sens lorsque les étudiants retournent ce stigmate pour revendiquer leur liberté de pensée.

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« We have been called the phone-pressing generation, lazy youths, irresponsible, jobless, the stubborn generation with « coconut heads ».

But what do you say when we take these insults, own them, and throw them back at the older generation to let them know that we can be all of these and fabulous regardless?

Only a stubborn generation will not be comfortable with mediocrity and won’t stop fighting until they get what they want. »

Oluwatosin Faith Kolawole

« On nous a appelés la génération accro au téléphone, des jeunes paresseux, irresponsables, sans emploi, la génération têtue avec des « têtes de noix de coco ».

Mais que dire quand nous prenons ces insultes, que nous les assumons, et que nous les renvoyons à la génération précédente pour leur montrer que nous pouvons être tout cela — et fabuleux malgré tout ?

Seule une génération têtue refuse de se contenter de la médiocrité et ne cessera de se battre tant qu’elle n’aura pas obtenu ce qu’elle veut. »

— Oluwatosin Faith Kolawole, autrice

« Tous les jeudis soirs, l’Université d’Ibadan, grande ville du sud-ouest du Nigeria, abrite un ciné-club. Un lieu safe, où les étudiants et les étudiantes visionnent des films qu’ils prennent le temps de discuter.

Dans ce ciné-club sont projetés des films pour parler intersectionnalité, décolonisation, luttes féministes, luttes LGBT, minorités ethniques du pays, droits des étudiants ou élections. Un lieu pour permettre à ces jeunes gens qu’on associe à la « Coconut Head Generation » d’affronter le monde et la société nigériane.

Cette expression méprisante qui qualifie la jeunesse de paresseuse et abrutie, les étudiants se l’approprient en la détournant afin d’en faire une force et de revendiquer leur intelligence critique. Au gré des séances, de débats houleux en discours éloquents, les étudiants apprennent à se situer, à marquer leurs différences et à penser ensemble. La salle de cinéma devient un lieu d’éducation autogéré où l’on apprend à lutter et à s’organiser.

D’abord très intérieur ­– l’université, la salle de cinéma –, le film s’ouvre quand le réel rattrape le cinéaste et les étudiants au travail. Alain Kassanda suit les révoltes étudiantes d’octobre 2020 qui éclatent contre les violences policières et les abus de la Special Anti-Robbery Squad, une unité de police anti-vol (#EndSARS). Alors que les étudiants regardent des films de Med Hondo, de Mahamat Saleh Haroun ou de John Akomfrah, ils deviennent les personnages d’un film de lutte. Le film les regarde s’ouvrir au réel et devenir les acteurs et les actrices d’un changement. Face au monde qui se transforme trop lentement, face à son histoire et ses violences, teacher, don’t teach me nonsense. »

– Clémence Arrivé – Cinéma du réel

Grand Prix – Cinéma du Réel 2023
Grand Prix au festival FCAT -Tarifa, 2023
Grand prix au festival StLouis’Docs, 2024
Prix Ciné+ au festival Entrevue, Belfort, 2023
Sélections : IDFA, RIDM, Durban, New Directors/New Films, Ji.hlava,
Marrakech, Black Star, Belo Horizonte, Black Canvas, Festival des 3
Continents…

Entretien avec Alain Kassanda (extraits)

« J’ai vécu quatre ans au Nigeria avec ma compagne. Elle est anthropologue et était en poste dans un centre de recherche au sein de l’Université d’Ibadan, au sud-ouest du pays. En arrivant à l’université, j’ai fait la rencontre d’un enseignant et d’un groupe d’étudiant·es. Ensemble, nous avons créé « Thursday Films Series », un ciné-club hebdomadaire devenu rapidement un lieu de ralliement pour celleux qui cherchaient un espace d’échange autour du cinéma.

Au départ, je ne voulais pas nécessairement faire un film sur les étudiant·es car je tournais déjà « Trouble Sleep », un moyen métrage centré sur l’univers de la route à Ibadan, tout en cherchant des financements pour mon premier long-métrage documentaire. Je souhaitais surtout archiver les échanges passionnants dont j’étais témoin chaque jeudi et documenter l’organisation du ciné-club qui était devenu un lieu d’expression politique au sein de l’université.

Ce n’est que plus tard, durant le mouvement #EndSars de 2020 contre les violences policières et la mal gouvernance du pays, que l’idée d’un film s’est imposée. Il m’a semblé pertinent de faire un lien entre les revendications exprimées durant les manifestations par les jeunes Nigérian·es et le ciné-club, où nombre de ces questions étaient déjà largement abordées. Il faut ajouter qu’une grande majorité des étudiant·es du ciné-club ont participé aux manifestations de 2020. Le film montre ainsi la formation d’une pensée politique et son expression dans la rue à travers les archives de trois années de ciné- club.

Comment le ciné-club s’est-il justement constitué en safe space ?

Le Nigeria est une « démocrature » et l’université publique réplique les formes de domination qui traversent la société. Le ciné-club propose autre chose – je parle au présent car il continue d’exister aujourd’hui -, ses principes de base sont la gratuité, l’accessibilité à tous·tes et une répartition égale de la parole. Dans ce cadre très horizontal, les hiérarchies sont abolies et les étudiant·es se sentent en confiance. Avec le temps, ses membres se sont rendus compte que c’était un lieu où la parole ne portait pas à conséquence, même en dehors de la salle.

Le ciné-club est notamment un endroit où le sexisme et l’homophobie sont combattus, alors que la société nigériane est fortement patriarcale et que l’homosexualité est condamnée par la loi. La plus grande réussite de « Thursday Film Series » a été de permettre à des gens marginalisés de se retrouver ; des ponts ont été érigés entre des personnes qui ne se connaissaient pas forcément, notamment parce que les étudiant·es viennent de différents départements.

À travers la cinéphilie, c’est une communauté de pensée qui s’est développée, un lieu unique au sein du campus et dans la ville d’Ibadan. C’est donc un safe space résultant de la rencontre entre des gens porteurs des mêmes valeurs et aspirations. Le cinéma est finalement devenu prétexte à la rencontre.

Comment se situe le ciné-club dans le paysage cinématographique au Nigeria ?

C’est encore une exception. Le Nigeria est un des rares pays d’Afrique à disposer d’une industrie cinématographique : Nollywood. C’est fondamental pour la construction d’un imaginaire et l’estime de soi que de se voir représenté à l’écran de manière digne et fidèle aux réalités sociales de son pays. Par ailleurs, à Ibadan comme dans les grandes villes du Nigeria, il y a plusieurs salles de cinéma. Malheureusement ces dernières fonctionnent selon un modèle commercial qui privilégie les blockbusters américains et la production grand public locale. L’effet pervers de ce système est l’absence de représentation d’un cinéma d’auteur globalisé et d’autres productions africaines dans les salles.

Le ciné-club a eu pour ambition de combler ce vide, en offrant aux étudiant·es la possibilité de découvrir d’autres formes cinématographiques auxquelles iels ont peu accès. On pouvait regarder « Sunrise » de Murnau un jeudi, puis « Le Camp de Thiaroye » de Sembene Ousmane le jeudi suivant et enchaîner avec « Soy Cuba » de Mikhail Kalatozov ou encore « Le tombeau des lucioles » de Isao Takahata. Les documentaires d’Anand Patwardhan, Jean-Marie Teno ou John Akomfrah, ou encore « Félicité » d’Alain Gomis, ont notamment été beaucoup appréciés car ils ont opéré comme des miroirs pour les étudiant·es, qui y retrouvaient leurs réalités quotidiennes.

Vous avez parlé à l’instant de l’importance de construire un imaginaire alternatif sur les réalités africaines. Comment mettez-vous en œuvre cette ambition dans votre travail ?

J’ai fait ce film parce que j’avais envie de sortir du regard misérabiliste porté, notamment en Occident, sur les jeunesses africaines. Ici, je filme des étudiant·es déterminé·es, érudit·es et articulé·es, je montre des figures qu’on ne voit jamais dans les médias occidentaux. Dans l’imaginaire français par exemple, l’Afrique est un angle mort ; nous sommes enfermés dans des cases – je dis « on » parce que je suis franco- congolais.

Les Français·es sont en outre très ignorant·es des contextes africains anglophones, et le Nigeria particulièrement est vu comme le pays de la criminalité, des violences endémiques, du terrorisme, et éventuellement de la musique avec Burna Boy ou Fela Kuti pour les plus mélomanes. On utilise souvent des superlatifs négatifs pour parler du Nigeria, on ne montre jamais des gens simples dans leur quotidien, il n’y a jamais de beauté ordinaire.

Dans le film, le ciné-club invite le photographe Obayomi Anthony à parler de sa série de photos sur les conditions d’hébergement à l’Université de Lagos où il a été étudiant. Il a décidé de documenter son expérience pour pointer du doigt les conditions d’hébergement dans les universités nigérianes. Je trouve que c’est un bel exemple pour sortir du misérabilisme en posant ces questions-là sous un angle politique, et en développant par là un regard critique et une capacité d’action. C’est aussi ça que permet le cinéma : on archive, on crée du sens et des boîtes à outils pour réfléchir à notre présent, et à la manière de le changer.

Lire l’entretien en intégralité (GNCR – Groupement national des cinémas de recherche)

AlainKassanda_le lieu documentaire

Alain Kassanda, natif de Kinshasa, a quitté la République démocratique du Congo pour la France à l’âge de 11 ans. Après des études de communication, il se lance dans l’organisation de cycles de projections de films dans différents cinémas parisiens. Il devient ensuite programmateur des 39 Marches, une salle de cinéma d’art et d’essai en banlieue parisienne, durant cinq ans, avant de s’installer à Ibadan, au sud-ouest du Nigéria, de 2015 à 2019.

Il y réalise « Trouble Sleep », un moyen métrage centré sur l’univers de la route. Le film a reçu le Golden Dove du Meilleur court métrage au festival Dok Leipzig en 2020 et la mention spéciale du jury au festival Visions du réel. S’en suit « Colette et Justin », un long métrage entremêlant récit familial et histoire de la décolonisation du Congo, sélectionné en compétition internationale à IDFA en 2022.

« Coconut Head Génération » est son troisième film. Centré sur la condition étudiante au Nigeria, il a obtenu le Grand Prix au festival Cinéma du réel en 2023.

(Source : Cinéma du réel)

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